L’analyse des états financiers d’une entreprise a toujours été un domaine complexe, nécessitant une combinaison d’expertise technique, de raisonnement critique et de connaissance du secteur. Jusqu’à récemment, cette tâche était principalement réservée aux analystes financiers. Toutefois, l’émergence des grands modèles linguistiques (LLM) tels que GPT-4 a permis de repenser cette répartition des rôles.
Une compétition inattendue
Des chercheurs de l’Université de Chicago ont réalisé une étude pour déterminer si un modèle linguistique avancé pouvait prédire la direction des bénéfices futurs d’une entreprise à partir de ses états financiers. Les chercheurs ont demandé au modèle GPT-4 d’analyser des bilans et comptes de résultat anonymisés pour prévoir si les bénéfices allaient croître ou diminuer. Les résultats ont été surprenants : GPT-4 a surpassé les prévisions de nombreux analystes professionnels, atteignant un taux de précision d’environ 60 %, contre 53 % pour les analystes humains.
Cette performance est d’autant plus notable que le modèle n’avait accès qu’à des données numériques, sans contexte narratif ou information sectorielle. Ces limitations auraient normalement dû désavantager l’intelligence artificielle (IA) par rapport à des analystes humains capables d’utiliser des connaissances qualitatives et une vision globale du marché.
La force des LLM dans l’analyse des données
Les modèles linguistiques, à l’instar de GPT-4, se distinguent par leur capacité à traiter de grandes quantités de données et à identifier des schémas récurrents dans les informations fournies. Cette étude a mis en évidence que le modèle était moins efficace pour prédire les performances des entreprises plus petites, souvent sujettes à des fluctuations financières importantes et donc difficiles à analyser par les méthodes traditionnelles.
Par ailleurs, les chercheurs ont utilisé une technique de « chain of thought » (chaîne de pensée) pour guider le modèle à travers des étapes de raisonnement similaires à celles employées par les analystes humains. Cette approche a permis d’améliorer significativement la précision des prévisions, montrant que le modèle pouvait imiter certains processus de réflexion humaine.
Comparaison avec des modèles traditionnels
Les chercheurs ont également comparé les résultats de GPT-4 avec ceux obtenus par des modèles d’apprentissage automatique plus classiques, tels que des régressions logistiques et des réseaux neuronaux artificiels (RNA). Bien que les RNA aient été spécifiquement entraînés pour prédire les bénéfices, les performances de GPT-4 ont été similaires, voire meilleures, dans certains cas. Cela montre que les LLM peuvent non seulement intégrer des connaissances générales, mais aussi effectuer des raisonnements complexes, même face à des données qu’ils n’ont jamais vues auparavant.
En revanche, l’étude a montré que GPT-4 est moins performant face aux entreprises présentant des pertes ou un endettement élevé. Les analystes humains, grâce à leur capacité à contextualiser ces situations complexes, conservent un avantage dans ces cas précis.
Vers une collaboration homme-machine
Ces résultats suggèrent que les grands modèles linguistiques peuvent jouer un rôle central dans le processus d’analyse financière, non pas en tant que remplaçants des analystes humains, mais en tant qu’outils complémentaires. Les analystes apportent une compréhension nuancée des entreprises et du contexte économique, tandis que les LLM offrent une précision remarquable dans l’analyse de grandes quantités de données quantitatives.
L’étude montre également que les stratégies de trading peuvent intégrer les prévisions établies par GPT-4, offrant des résultats prometteurs en termes de rendement ajusté au risque. Cela pourrait redéfinir le rôle des analystes financiers, les amenant à se concentrer davantage sur les aspects stratégiques et qualitatifs, tandis que les LLM se chargeraient de l’analyse quantitative.
L’avènement des grands modèles linguistiques dans le secteur financier ne signifie pas la disparition des analystes humains, mais plutôt une redéfinition de leurs compétences et de leur place dans le processus de prise de décision. L’intégration des LLM dans les pratiques d’analyse financière ouvre la voie à une collaboration étroite entre l’intelligence artificielle et l’expertise humaine, permettant d’améliorer la précision et l’efficacité des prévisions économiques.